Les risques psychosociaux posent des problèmes difficiles car ils concernent les comportements psychiques individuels et sociaux les plus complexes : ceux des hommes au travail. Ces questions mobilisent les connaissances des chercheurs qui travaillent dans les domaines de la médecine, de la sociologie, de l’ergonomie, voire de l’anthropologie qui décryptent les tensions résultant de la personnalité de chacun et des contraintes sociales. Mais elles mobilisent aussi les expériences de terrain accumulées par les partenaires sociaux qui se heurtent, sur le lieu de travail à l’apparition de ces risques. Ces questions mobilisent tout autant les praticiens, publics ou privés, pour tenter de prévenir ces difficultés et de remédier à leurs conséquences. Nous allons voir dans cet article quels sont les concepts utilisés pour définir les risques psychosociaux.
Définir et délimiter les risques psychosociaux
Le plus récent rapport de l’Observatoire Européen des Risques de l’Agence Européenne de la Santé et de la Sécurité au Travail, confirme que les importants changements survenus dans le monde du travail ces dernières décennies ont entraîné l’émergence des risques psychosociaux. A côté des risques physiques, biologiques et chimiques, ils apparaissent comme majeurs. Ces risques psychosociaux font référence à de nombreuses situations telles que le stress, le harcèlement moral, la violence, la souffrance, le suicide, la dépression, les troubles musculo-squelettiques, etc. Cette pluralité justifierait peut-être qu’on utilise le singulier, le risque psychosocial, comme on parle du risque cardiovasculaire en se référant au modèle médical.
Le stress, premier risque psychosocial
La grande variété des thèmes mis sous le vocable de risque psychosocial est source d’une grande confusion. Ces thèmes recouvrent en effet les situations et leurs effets, sans distinction entre les causes et les conséquences. Cette confusion tient non seulement à la diversité de ces risques mais aussi à la complexité des liens qui les unissent entre eux. Ainsi, l’anxiété ou la dépression peuvent apparaître comme conséquences du stress, des violences au travail, des harcèlements ou d’un traumatisme. Dans le cas des addictions, ce peut être tout autant la conséquence que la cause. On remarque que des actions de prévention et de lutte sur le terrain, dans une entreprise, par exemple, permettent de définir les catégories actives. Ainsi, et en reprenant les définitions de l’Agence Européenne de la Sécurité et de la Santé au Travail, ces risques peuvent être classés selon plusieurs critères : stress, harcèlement, violence interne, violence externe, addictions. La France n’est pas le seul pays à prêter attention aux risques psychosociaux. En ce qui concerne la recherche, la médecine, l’épidémiologie et la sociologie qu’il est nécessaire de mobiliser pour progresser, notre pays ne présente pas de retard manifeste. Par contre, la mobilisation des connaissances accumulées au profit d’une action effective de prévention, de détection, de guérison ou de réparation est en retard par rapport à ce qui se fait en Europe du Nord. La faiblesse du consensus social dans l’approche de ces problèmes constitue vraisemblablement la cause principale de ce retard.
Les harcèlements et les violences au travail
Le caractère spécifique des autres catégories de risques psychosociaux suggère un traitement particulier, adapté à cette différence. Mais encore faut-il que ces troubles soient effectivement détectés et ces traitements particuliers entrepris, ce qui n’est pas toujours le cas. Ainsi, si les troubles liés aux harcèlements, à un traumatisme ou à une addiction ne sont pas toujours traités en tant que tels, ni pris en charge au moment où ils provoquent stress, anxiété ou dépression. Une autre raison renforce ce choix, car du fait de leur caractère spécifique, les troubles liés aux violences, aux harcèlements ou au stress post traumatique posent sans doute moins de problème d’identification de leur cause, ce qui permet de poser plus clairement le problème de la responsabilité juridique éventuellement engagée. Cette clarification aide incontestablement à l’établissement du consensus d’approche de ces troubles, de sorte que la réflexion sociale y est plus mature comme en témoigne les sections de l’arsenal législatif et réglementaire qui les concerne. A l’inverse, ce consensus dans l’identification des causes fait singulièrement défaut pour les troubles liés au stress et à leurs possibles conséquences anxieuses ou dépressives. En fait, les harcèlements apparaissent comme des formes spécifiques et extrêmes, d’un trouble porté au bien-être au travail et générateur de souffrance voire de troubles psychologiques. Du fait précisément de leur caractère extrême, ils font l’objet d’une réglementation particulière et leur caractère spécifique permet qu’ils soient in fine soumis à l’appréciation du juge.
Une approche ergonomique ou médicale du stress ?
La compréhension des causes, l’évaluation et les actions à mettre en œuvre sont très dépendantes du type de risque psychosocial repéré. Il ne semble pas y avoir une méthodologie unique qui conviendrait pour l’ensemble de ces risques. Mais cibler le stress est une façon simple de détecter ces risques à divers stades des enchaînements des causes et des effets qui leurs sont propres. Il est également intéressant d’entendre les réponses des personnes qui témoignent sur ce qu’elles entendent par risques psychosociaux. De nombreuses études internationales font aussi apparaître le stress comme le plus fréquent des risques psychosociaux. Un état de stress survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. L’individu est capable de gérer la pression à court terme qui peut être considérée comme positive mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée à des pressions intenses.
En outre, le stress n’est pas une maladie mais une exposition prolongée au stress peut réduire l’efficacité au travail et peut causer des problèmes de santé. Plusieurs modèles scientifiques du stress professionnel ont pu être élaborés et validés quant à leur capacité à traduire l’impact sur la santé mentale et physique des individus. Deux modèles s’inscrivent dans le courant ergonomique du stress au travail, celui de Karasek et celui de Siegrist :
Le modèle de KARASEK
Dans ce modèle, la demande faite à l’individu est atténuée par le contrôle que peut exercer l’individu. Les activités professionnelles les plus dommageables en terme de stress excessif sont celles qui cumulent une forte demande et un plus faible contrôle menant à une activité très contraignante. A la différence des professions dites actives qui concentrent une forte demande et un plus fort contrôle, et celles passives ayant une faible demande, un plus faible contrôle. Il existe aussi des activités peu contraignantes, faible demande, plus fort contrôle. Une troisième dimension a été ajoutée à ce modèle : le soutien social. L’association de la forte demande, plus faible contrôle, plus l’absence de soutien représente la situation la plus délétère pour l’individu en terme de risque pour sa santé.
Le modèle de SIEGRIST (effort-récompense)
Ici, la charge de l’effort fourni par l’individu va être atténuée par le sentiment que cet effort est payé en retour. Cette récompense n’est pas seulement matérielle comme une rémunération, mais aussi une reconnaissance sociale et symbolique du sens donné à l’effort. Chacun de ces modèles a une forte validité scientifique bien que de nombreuses critiques aient porté sur le fait qu’aucun de ces modèles ne pouvait à lui seul expliquer la totalité de la problématique du stress au travail. Evaluer cette problématique, tout comme définir des actions de prévention sur la base d’un seul, voire même simultanément de chacun des deux modèles n’est pas satisfaisant. Il existe en effet bien d’autres déterminants qu’il n’est pas possible d’ignorer. Ainsi, les relations interindividuelles négatives, l’ambiguïté et les conflits de rôle, la mauvaise gestion du changement. D’autres modèles appartiennent davantage aux approches individuelles du stress, soit médicales comme les modèles de Selye et de Laborit, soit psychologiques modèle de Lazarus.
Le modèle de SELYE (la réponse d’adaptation)
C’est le modèle historique du stress proposé par Hans Selye dès les années 1930. Le stress est défini comme la réponse de l’organisme à toute demande qui lui est faite, dans une finalité d’adaptation. Cette réponse de l’organisme est biologique, physiologique, cognitive et émotionnelle. Ce n’est que lorsque ces réponses deviennent régulières et de plus en plus rapprochées que la situation à gérer dépasse les capacités d’adaptation. L’organisme supporte tout cela de plus en plus mal et les conséquences néfastes peuvent survenir par épuisement.
Le modèle de LABORIT (l’inhibition de l’action)
Il repose sur une conception bio-comportementale du stress. La réaction de stress n’a qu’une finalité : assurer la survie de l’organisme face à un danger. Ce modèle repose sur nos connaissances dans le domaine de la biologie et des neurosciences et en particulier du rôle du cerveau limbique émotionnel dans la mécanique du stress. C’est parce que nos réactions primaires de stress, l’attaque ou la fuite, la « fight or flight response », ne peuvent se réaliser que si l’inhibition de l’action prend le dessus et que le stress devient pathogène.
Le modèle de LAZARUS (la double évaluation de la situation)
Ici, le stress résulte de la double évaluation que fait l’individu de la situation de stress. L’évaluation primaire concerne le danger ou la menace que représente potentiellement cette situation alors que l’évaluation secondaire consiste en la perception qu’a l’individu des ressources dont il dispose pour faire face à cette menace. Autant que la situation de stress, c’est l’évaluation d’une menace sans possibilités d’y faire face avec suffisamment de ressources qui s’avère être nocif pour l’individu.
En fait, aborder les risques psychosociaux, et en particulier le stress, en ne tenant compte que des aspects organisationnels et en adoptant donc une démarche ergonomique pure réduirait l’approche aux seules conditions de travail. De la même façon, aborder ces mêmes risques en ne tenant compte que de l’individu et en adoptant une démarche exclusivement médicale réduirait cette fois-ci l’approche à la seule santé mentale au travail. C’est bien sûr l’association de cette double dimension et son intégration qui nous semble souhaitable.